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Capitalisme cognitif et capitalisme mafieux

 

di DIDIER LEBERT e CARLO VERCELLONE

Capitalisme cognitif et capitalisme mafieux sont étroitement imbriqués dans le processus de globalisation productive et financière du capital. Pour comprendre cette articulation il est utile de partir d’une définition de ces deux concepts, souvent source de malentendus.

Par le concept de capitalisme cognitif nous définissons une nouvelle phase historique du capitalisme dans laquelle le rôle du travail intellectuel et immatériel se présente comme l’élément  stratégique du point de vue de la création de la valeur et d’une dynamique de la compétitivité de plus en plus fondée sur l’innovation. Dans ce cadre, l’enjeu clé de la valorisation du capital et des formes de la propriété ne repose plus sur le capital et le travail matériels. Elle porte directement sur le contrôle économique et biopolitique des conditions collectives de la production de la connaissance et la transformation de celle-ci en un capital et une marchandise fictive. De cette dynamique résultent deux conséquences cruciales.

La première est liée à la façon dont la montée du capital nommé immatériel et intellectuel a favorisé la financiarisation de l’économie. L’évaluation de ce capital, par essence fictif comme l’a bien montré Gorz, ne peut en fait n’être que l’expression complètement subjective de l’anticipation des profits futurs effectuée par les marchés financiers qui de cette manière s’approprient d’une rente.

La seconde a trait à la pression exercée par le capitalisme cognitif pour obtenir le renforcement des droits de propriété intellectuels et la privatisation, ou en tout cas la subordination à la logique marchande, des institutions du Welfare (systèmes de recherche, d’éducation et de santé publics) qui sont les véritables moteurs d’une économie fondée sur la connaissance. Nous avons là une dynamique éminemment contradictoire, car la logique parasitaire du capitalisme cognitif peut aller jusqu’à assécher les ressorts les plus essentiels d’une économie fondée sur la connaissance.

Précisons par ailleurs que le capitalisme cognitif ne supprime pas la logique productiviste du capitalisme industriel pas plus que celle de la croissance des biens matériels. Il la réarticule et la renforce par un processus de globalisation de la production et une logique de prédation et de destruction des ressources naturelles non renouvelables qui accentue le risque de destruction de la biodiversité et de déstabilisation écologique de la planète. C’est pourquoi les nouvelles enclosures du savoir vont de pair et renforcent les anciennes enclosures concernant la terre et les autres biens communs de l’humanité. De ces mutations résulte une nouvelle division internationale du travail qui vise à assurer aux pays de l’OCDE les dividendes de la propriété intellectuelle et des productions intensives en connaissances, en reléguant le reste du monde dans la production de biens banalisés et l’approvisionnement en matières premières et en ressources non renouvelables. L’essor du capitalisme cognitif va ainsi de pair avec une tendance lourde à la polarisation de la géographie du développement entre régions et nations. Certes, nous ne sommes pas là non plus face à un processus univoque : de même que certaines phases de la production peuvent être relocalisées dans des régions développées, certaines fonctions de direction et de conception sont délocalisées vers des pays du Sud, comme l’Inde ou la Chine, disposant d’un important réservoir de main-d’œuvre intellectuelle. Une logique en termes d’avantages comparatifs basée sur les coûts de travail peut ainsi se combiner à la nouvelle logique de la division cognitive du travail et, à long terme, déstabiliser la position hégémonique des pays de l’OCDE. Il n’en reste pas moins que la nouvelle division internationale du travail forgée par le capitalisme cognitif risque de condamner un grand nombre de pays en développement, ceux qui sont le moins pourvus en travail qualifié, à une véritable « déconnexion forcée ».

Dans le même temps, les politiques néolibérales de privatisation menées dans les pays de l’OCDE et la transition des pays dits à socialisme réel de l’Europe de l’Est vers un capitalisme fortement dérégulé a déclenché à une échelle inédite une gigantesque accumulation primitive du capital au cœur de laquelle se trouve une redistribution souvent violente des droits de propriété.

C’est sur ce terreau construit par le développement du capitalisme cognitif et sa régulation financière et néolibérale que l’on assiste sous ses formes les plus classiques comme les plus modernes à une véritable expansion de formes d’accumulation mafieuse.

Mais au juste que faut-il entendre par capitalisme mafieux ? Sur ce sujet il convient d’être bien précis, et pour ce faire il est fort utile de rappeler la distinction marxienne entre différentes modalités de la circulation de l’argent. Le capitalisme mafieux ne doit pas être confondu (même s’il peut les subsumer) avec les formes traditionnelles de criminalité, plus ou moins organisées, que le développement des inégalités est en train sans doute d’alimenter. En effet, dans ces formes traditionnelles l’activité illégale a toujours pour but essentiel la consommation (M-A-M), peu importe si cet objectif est réalisé par le prélèvement direct d’une somme d’argent ou par la production et/ou la vente d’une marchandise.

Le capitalisme mafieux, lui, s’inscrit dans la logique de la circulation de l’argent en tant que capital, et décline les différentes modalités de son accumulation : du circuit court A-A’, caractéristique du capital financier, au circuit long du capital marchand A-M-A’ et du capital productif légal ou illégal (A-M-P-M’-A’). Plus fondamentalement – et cette définition contribue déjà à expliquer son essor actuel – le capitalisme mafieux exprime, selon nous, le caractère structurel des méthodes de « l’accumulation primitive du capital » qui avaient permis la mise en place des conditions nécessaires à l’essor du capitalisme lui-même : l’appropriation privée de la terre et l’expropriation de la paysannerie par le processus des enclosures, la transformation de la force de travail en une marchandise fictive, la concentration de la propriété et l’accumulation de masses importantes de capitaux par des mécanismes dits « extra-économiques » et violents, en tout cas bien éloignés des mythes de l’économie politique faisant de la propriété privée et du capital les fruits de l’effort du travail et de l’épargne d’individus vertueux. Cela signifie aussi que le capitalisme mafieux ne se borne pas à une logique de valorisation fondée sur des marchés et des produits illégaux. Il désigne également, et surtout, une activité entrepreneuriale qui, tout en opérant dans l’économie formelle, a recours à des instruments « hors norme » (menace, violence, et corruption) dans la régulation du rapport salarial et des rapports de concurrence. C’est le caractère structurel et socialement organisé de cette interpénétration du formel et de l’informel, du licite et de l’illicite, du légal et de l’illégal, qui constitue le trait principal de ce que nous désignons par « capitalisme mafieux ».

Finalement, de multiples facteurs vont aujourd’hui continuer à alimenter les formes d’accumulation mafieuse comme partie intégrante du développement du capitalisme cognitif à l’échelle mondiale, et cela aussi bien au centre qu’à la périphérie.

Dans la périphérie, en particulier dans les régions soumises à une « déconnexion forcée », les formes d’accumulation mafieuses constituent souvent le moyen essentiel d’insertion dans la division internationale du travail et d’une accumulation susceptible d’alimenter d’autres activités marchandes et non marchandes. C’est le cas bien connu des mafias spécialisées dans les filières des drogues mais aussi de ce qu’on appelle aujourd’hui les éco-mafias, dans un contexte où la crise écologique va accentuer par tous les moyens la tentative de s’approprier de ressources rares et non renouvelables. Ces formes « écologiques » de l’accumulation primitive vont de pair avec d’autres modalités d’expropriation du commun, ce dernier représentant le terrain d’excellence du capitalisme mafieux. Nous faisons référence par exemple au cas de la Russie où c’est à travers des pratiques illégales et violentes de redistribution des droits de propriété que s’est formée la nouvelle bourgeoisie postsocialiste, selon une dynamique qui rappelle celle des barons voleurs aux Etats-Unis au XIX° siècle. A une autre échelle, ce processus s’est produit dans des pays développés, comme en Italie. La privatisation des services publics et de la gestion des biens communs, avec le marché des travaux publics, y représente l’un des lieux privilégiés d’épanouissement du capitalisme mafieux et de son interaction avec le capitalisme cognitif et le pouvoir politique.

Capital cognitif et capital mafieux trouvent enfin une véritable unité où toute distinction disparait dans l’opacité intrinsèque aux marchés financiers. C’est dans ce cadre que le capital mafieux a eu l’occasion de fournir dans certains cas une partie considérable du capital initial nécessaire à la constitution de grandes firmes de l’immatériel et de l’audiovisuel. C’est toujours à travers les marchés financiers que, avec d’incessants allers-retours, capitalisme cognitif et capitalisme mafieux finissent par se confondre dans une logique d’accumulation commune gérée par des acteurs et des institutions communes. Finalement, nous pouvons affirmer que les liaisons dangereuses entre capitalisme mafieux et cognitif ne correspondent pas à des anomalies mais à des éléments endogènes à l’accumulation du capitalisme contemporain, ces éléments ne pouvant être extirpés, pas plus que les dérives de la finance (dont ils font partie intégrante), en faisant appel au retour à un mythique capitalisme éthique et socialement responsable.

 

 

 

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