January 3, 2011

Lazzarato: Enonciation et politique

“Une lecture parallèle de la démocratie: Foucault et Rancière” — A chapter from a forthcoming book by Maurizio Lazzarato on Foucault and political subjectivation.


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«Le discours révolutionnaire, quand il prend la forme d’une critique de la société existante, joue le rôle de discours parrêsiastique » Michel Foucault

1. Jacques Rancière dans interview donnée à une revue actuellement de centre gauche, affirme que la subjectivation politique « n’a jamais intéressé Foucault, sur le plan théorique en tout cas. Il  s’occupe du pouvoir ».[i] Jugement un peu rapide et désinvolte puisque la subjectivation politique constitue l’aboutissement même de l’œuvre de Foucault. En réalité nous sommes confrontés à deux conceptions radicalement hétérogènes de la subjectivation politique. Contrairement à Ranciere pour qui l’éthique neutralise la politique, la subjectivation politique foucaldienne est indissociable de l’ethos – poieisis (la formation de l’ethos, le rapport à soi). La nécessité de conjuguer la transformation des institutions, des lois et la transformation de soi, des autres et de l’existence, constitue, selon Foucault, le problème même de la politique telle qu’elle se configure à partir de 68. Les deux différents concepts de subjectivation sont l’expression de deux projets politiques passablement hétérogènes  comme on peut aisément le constater en comparant  la lecture du fonctionnement de  la démocratie grecque que ces auteurs proposent.

Les deux approches comportent des différences remarquables non seulement quant à la conception de la politique, mais aussi du langage et de l’énonciation. Pour Rancière, la démocratie grecque a définitivement démontré que la politique a pour principe exclusif l’égalité  et que l’égalité linguistique (le minimum d’égalité nécessaire à la compréhension des être parlants)  recèle  la vérification du principe de l’égalité politique. La parole,  qu’elle soit de l’ordre du commandement ou du problème, suppose l’entente dans le langage. L’action politique doit majorer et effectuer cette puissance de l’égalité contenue, tant soi peu, dans le langage .

Dans la lecture foucaldienne de cette même démocratie, l’égalité  constitue une condition nécessaire, mais non suffisante de la politique. L’énonciation (le dire vraie-parrêsia) détermine des rapports paradoxaux, puisque le parler–vrai introduit la différence de l’énonciation dans l’égalité de la langue, ce qui implique nécessairement une « différenciation éthique ». L’action politique se fait dans le cadre des « rapports paradoxaux » que l’égalité de langue entretient avec la différence de l’énonciation, l’égalité avec la production de nouvelles formes de subjectivation et de singularité.

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2. Le « dire vrai » (la parrêsia)

La démocratie est abordée par Foucault à travers le dire–vrai (la « parrêsia »), c’est-à-dire à travers la prise de parole de celui qui se lève dans l’assemblée et prends le risque d’énoncer la vérité en ce qui concerne les affaires de la cité. Foucault, reprend, comme analyseur de la démocratie, une thématique classique d’un de ses maîtres, Nietzsche, celle de la valeur de la vérité, de la volonté de vérité ou encore « qui » veut le vrai ?

Le rapport entre vérité et sujet n’est plus posé dans les termes de ses travaux sur le pouvoir : à travers quelles pratiques et quels types de discours le pouvoir a essayé de dire la vérité du sujet fou, délinquant, prisonnier ? Comment le pouvoir a-t-il constitué le « sujet  parlant, le sujet travaillant, le sujet vivant » en objet de savoir ? A partir de la fin des années 70, le point de vue s’est déplacé et se formulé en ces termes : quel discours de vérité le sujet est-il « susceptible et capable de dire sur lui-même ».

L’interrogation qui traverse la lecture de la démocratie grecque est orientée par une question typiquement nietzschéenne qui concerne, en réalité, notre actualité : qu’est-ce que « dire vrai » après la mort de Dieu ? Contrairement à Dostoïevski, le problème n’est pas quelle conduite de vie adopter si « tout est permis », mais « si rien n’est vrai » comment vivre ? Si le souci de la vérité consiste dans sa problématisation permanente, quelle « vie », quels pouvoirs,  quels savoirs et quelles pratiques discursives peuvent le supporter ?

La réponse capitaliste à cette question est la constitution d’un « marché aux vies », où chacun peut acheter l’existence qui lui convient. Ce ne sont plus les écoles  philosophiques, comme dans Grèce Antique, ni la religion chrétienne, ni le projet révolutionnaire comme au XIX et XX siècle, qui proposent des modes d’existence, des modèles de subjectivation, mais les entreprises, les médias, l’industrie culturelle, les institution du Welfare State, de l’Assurance chômage.

Dans le capitalisme contemporain le gouvernement des inégalités est strictement couplé à la production et au gouvernement des modes de subjectivation, à de formes de vie . La « police » contemporaine opère à la fois par la division et la distribution des rôles et la répartition des fonctions et l’injonction à des modes de vie : chaque revenu, chaque allocation, chaque salaire renvoie à un « éthos » qui prescrit et implique des conduites, c’est-à-dire à une manière de faire et de dire. Le néo – libéralisme est à la fois le rétablissement d’une hiérarchie fondée  sur l’argent, sur le mérite, sur l’héritage et une véritable « foire aux vies » où les entreprises et l’Etat, en remplaçant le maître ou le confesseur, prescrivent comment se conduire (comme manger, comment habiter, comment s’habiller, comment aimer, comment parler, etc.).

Le capitalisme contemporain, ses entreprises et ses institutions prescrivent un souci de soi et un travail sur soi à la fois physique et psychique, un « bien vivre », une esthétique de l’existence qui semble dessiner les nouvelles frontières de l’assujettissement capitaliste et de la valorisation économique qui  marquent un appauvrissement sans précédents de la subjectivité.

Pour problématiser ces questions, les derniers cours de Foucault constituent un outil irremplaçable. Le déploiement de l’analyse requiert  tout d’abord de ne pas isoler l’acte politique en tant que tel comme le fait Rancière, puisque, selon Foucault, on risque de rater la spécificité du pouvoir capitaliste qui agence politique et éthique, division inégalitaire de la société, production de modèles d’existences et pratiques discursives. Foucault nous invite à tenir ensemble l’analyse des formes de subjectivation,  l’analyse des pratiques discursives et des « techniques et des procédures par lesquelles on entreprend de conduire la conduite des autres ». Pour le dire de façon synthétique : sujet, pouvoir et savoir doivent être pensés à la fois dans leur irréductibilité et dans leur nécessaire relation.  La parrêsia en dérivant du mode de subjectivation politique où elle est nait, vers la sphère de l’éthique personnelle et de la constitution du sujet moral, nous offre la possibilité de penser les relations complexes entre ces « trois éléments distincts, qui ne se réduisent pas les uns aux autres (…) mais dont les rapports sont constitutifs les uns des autres »[ii]

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3. Parrésia, politeia, isegoria,  dunasteia

Dans ses deux derniers cours, Foucault démontre que la parrêsia (le dire vrai de celui qui se lève dans l’assemblée),  la politeia (la constitution qui garantie l’égalité de tous les hommes qui ont la citoyenneté ) et l’isêgoria (le droit statutaire pour n’importe qui de parler, ne dépendant d’aucun statut social, d’aucun privilège de naissance, de richesse ou de savoir),  établissent entre elles des rapports paradoxaux. Pour que la parrêsia puisque exister, pour que le dire vrai puisse s’exercer, il faut à la fois la politeia (constitution qui garanti l’égalité) et l’isegoria (n’importe qui peut prendre publiquement la parole et dire son mot sur les affaires de la cité). Mais ni la politeia, ni l’isegoria ne disent pas encore qui va réellement parler , qui va effectivement  énoncer une prétention à la vérité. N’importe qui a le droit de prendre la parole, mais ce n’est pas la distribution égalitaire du droit de parole qui va faire parler effectivement.

L’exercice effectif de la parrêsia ne dépend ni de la citoyenneté, ni d’un statut juridique ou social. La politeia et l’isegoria et l’égalité qu’elles déclarent, ne constituent que les conditions nécessaires mais non suffisantes de la prise de parole publique. Ce qui fait parler effectivement est la dunasteia : la puissance, la force, l’exercice et l’effectuation réelle du pouvoir de parler qui mobilisent des rapports singuliers de l’énonciateur à lui même et de l’énonciateur à ceux à qu’il s’adresse. La dunesteia qui s’exprime dans l’énonciation est une force de différentiation éthique puisque il s’agit d’une prise de position par rapport à soi, par rapport aux autres et par rapport au monde.

La parrèsia en prenant parti et en divisant les égaux et en portant la polémique et le litige à l’intérieur de la communauté, est une action risquée et indéterminée. Elle introduit le conflit, l’agonisme, la joute dans l’espace public qui peuvent aller jusqu’à l’hostilité, la haine et la guerre.

Le dire-vrai, la prétention à la vérité énoncée dans une assemblée (et on peut penser aux assemblées de mouvements sociaux er politiques contemporains, puisque la démocratie grecque, à différence de la démocratie moderne n’est pas représentative), présuppose une force, une puissance, une action sur soi (avoir le courage de prendre le risque de dire le vrai) et une action sur les autres, pour les persuader, les guider, pour diriger leurs conduites. C’est dans ce sens que Foucault parle de la différenciation éthique, d’un processus de singularisation déclenché et ouvert par l’énonciation parrésiastique. La parrêsia implique que les sujets politiques se constituent eux-mêmes en sujets éthiques, capables de prendre des risques, de lancer un défi, de diviser les égaux par leurs prises de positions, c’est-à-dire capables de se gouverner eux-mêmes et de gouverner les autres dans une situation de conflit. Dans l’acte d’énonciation politique, dans la prise de parole publique, se manifeste une puissance d’auto-positionnement,  d’auto-affectation, la subjectivité  s’affectant elle-même, comme dit Deleuze fort à propos de la subjectivation foucaldienne.

La parrêsia restructure et redéfinit le champ d’action possible aussi bien pour soi, que pour les autres. Elle modifie la situation, elle ouvre à un nouvelle dynamique puisque précisément elle introduit quelque chose de nouveau. « La structure de la parrêsia, même si elle implique un statut, est une structure dynamique et une structure agonistique » qui déborde le cadre égalitaire, du droit, de la loi, de la constitution.

Les nouvelles relations que le dire vrai exprime ne sont pas contenues, ni prévues par la constitution, la loi ou l’égalité et c’est pourtant à travers elles et seulement à travers elles qu’une action politique est possible, s’effectue réellement.

Le dire-vrai dépend donc de deux régimes hétérogènes, du droit (de la politeia et de l’isegoria) et de la dunasteia (la puissance ou force) et c’est pour cette raison que le rapport entre énonciation (discours) vraie et démocratie est « difficile et problématique ». La parrêsia en introduisant la différence de fait dans l’égalité, en exprimant la puissance d’auto-affectation, d’auto-affirmation, détermine un double paradoxe. Premièrement « il ne peut avoir de discours vrai que par la démocratie, mais le discours vrai introduit dans la démocratie quelque chose qui est tout à fait différent et irréductible à sa structure égalitaire »[iii], la différentiation éthique. Deuxièmement « la possibilité de la mort du discours vrai, la possibilité de sa réduction au silence » est inscrite dans l’égalité, puisque la joute, le conflit, l’agonisme et l’hostilité menacent la démocratie et son égalité . Ce qui est effectivement est arrivé dans nos démocraties occidentales dans lesquelles il n’y a plus d’espace pour la parrêsia. Le consensus démocratique contitue la neutralisation de la parrésia, de la prise de risque du dire vrai et de  la subjectivation et de l’action qui en découle.

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4. Enonciation et pragmatique

La différence de position entre Rancière et Foucault émerge encore plus clairement si on approfondit le rapport que le langage et l’énonciation entretiennent avec la politique et la subjectivation politique.

La prise de parole de « sans parts » (démos ou prolétariat) chez Ranciere ne renvoie pas à une prise de conscience, à l’expression d’un propre de celui qui énonce (ses intérêts ou son appartenance à un groupe social), mais à l’égalité du logos. L’inégalité de la domination présuppose l’égalité des être parlants, puisque pour que l’ordre du maître soit exécuté par les subordonnés, il faut que le maitre et le subordonnés se comprennent à partir d’une langue commune. Le fait de parler, même dans le cas des relations de pouvoir fortement asymétriques, ( le discours de Menenius Agrippe sur l’Aventin qui veut légitimer les différences hiérarchiques dans la société) suppose une entente dans le langage, une « communauté dont l’égalité est la loi ». [iv]

Pour qu’une action politique soit possible, il faut préalablement supposer une déclaration d’égalité qui fonctionne comme mesure et fondement de l’argumentation et de la démonstration du litige entre la règle (de l’égalité) et le cas (l’inégalité de la police).

L’égalité ayant été déclarée quelque part, il faut effectuer sa puissance. « Etant inscrite quelque part, il faut l’élargir, la renforcer »

La politique égalitaire trouve, une légitimation et un argumentaire dans la logique et la structure de la langue. La politique consiste dans la création d’une « scène où se met en jeu l’égalité et l’inégalité des partenaires du conflit comme êtres parlants ».[v]

Pour Rancière il y a bien une logique du langage, mais cette logique est démentie par la dualité  du logos, « parole et compte de la parole ». La parole est à la fois le lieu d’une communauté (parole qui exprime les problèmes) et d’une division (parole qui donne des ordres). L’énonciation politique doit argumenter et démontrer contre cette dualité « qu’il y a un seul langage commun » et établir que le démos antique comme les prolétaires modernes sont des êtres qui, par le fait même qu’ils parlent et qu’ils argumentent, sont des êtres de raison et de parole et par là même égaux  à ceux qui les commandent.

« La querelle ne porte pas sur les contenus de langage (….) elle porte sur la considération des être parlants comme tels »[vi]

Si Rancière  joue avec les universaux et la rationalité discursive ( « La première requête d’universalité est celle de l’appartenance universelle des être parlants à la communauté du langage » [vii]), tout en s’en distinguant, Foucault décrit la subjectivation comme un processus immanent de rupture et de constitution du sujet.

La parrésia chez Foucault, pour utiliser une formule de Félix Guattari, « sort de la langue », mais aussi de la pragmatique telle qu’elle est envisagé par la philosophie analytique. Il n’y a pas de la rationalité ou de logique discursive, parce que l’énonciation n’est pas indexée aux règles de la langue ou de la pragmatique, mais au risque de la prise de position, à l’auto – affirmation « existentielle » et politique. Il n’y a pas une logique de la langue, mais une esthétique de l’énonciation, au sens où l’énonciation ne vérifie pas ce qui est déjà là (l’égalité), mais ouvre à quelque chose de nouveau qui est donné pour la première fois par l’acte même de parle .

La parrêsia est une forme d’énonciation très différente de celle avancée par la pragmatique du discours à travers les performatifs. Les performatifs sont des formules, des « rituels » linguistiques  qui présupposent un statut plus ou moins institutionnalisé de celui qui parle et dans lesquels l’effet que l’énonciation doit produire est déjà institutionnellement donné (« La séance est ouverte » énoncé par celui qui est habilité à le faire n’est qu’une répétition « institutionnelle » dont les effets sont connus d’avance). La parrêsia, à l’inverse ne suppose aucun statut, elle est l’énonciation de « n’importe qui ». A la différence des performatifs elle « ouvre à un risque indéterminé », « possibilité, champs de dangers, ou en tout cas éventualité non déterminée. »[viii]

L’irruption de la parrêsia détermine une fracture, une effraction d’une situation et « rend possibles un certain nombre d’effets » qui ne sont pas connus d’avance. Les effets de l’énonciation ne sont pas seulement toujours singuliers, mais affectent et engagent d’abord le sujet énonciateur.

La reconfiguration du sensible concerne d’abord celui qui parle. A l’intérieur de l’énoncé parrêsiastique se noue un double pacte du « sujet parlant avec lui-même » : il se lie lui-même à l’énoncé et au contenu de l’énoncé, à ce qu’il a dit et au fait qu’il l’a dit. Il y a retro-action de l’énonciation sur le mode d’être du sujet « En produisant l’événement de l’énoncé, le sujet modifie, ou affirme , ou en tout cas détermine et précise quel est son mode d’être en tant qu’il parle .»[ix]

La parrêsia manifeste le courage et la prise de position de celui qui énonce la vérité, qui dit ce qu’il pense, mais manifeste aussi le courage et la prise de position de « l’interlocuteur » qui accepte de recevoir comme vraie la vérité blessante qu’il entend »[x]. Celui qui dit vrai, qui dit ce qu’il pense, « signe en quelque sorte lui-même la vérité qu’il énonce, il se lie à cette vérité, et il s’oblige, par conséquent, à elle et par elle »[xi]. Mais il prend aussi un risque « qui concerne la relation même qu’il a avec ceux à qui il s’adresse ». Si le professeur possède un « savoir de tekne »  et ne risque rien en parlant, le parrêsiaste prend les risques non seulement de la polémique, mais  de « l’hostilité, de la guerre, de la haine et de la mort ». Il prend le risque de diviser les égaux.

Entre celui qui parle et ce qu’il énonce, entre celui qui dit le vrai et celui qui accueille la parole s’établit un lien affectif et subjectif, la « croyance », qui comme le rappelle William James est une « disposition à l’action »[xii]. Le rapport à soi, le rapport aux autres et la croyance qui les lie ne peuvent être contenus ni dans l’égalité, ni dans le droit .

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5. Crise de la parrêsia

Rancière voit dans la crise de la démocratie grecque une simple prétention de la volonté des aristocrates au rétablissement de leur privilège de naissance, de statut et de richesse, alors que Foucault, sans négliger cet aspect, voit la crise de la démocratie grecque se nouer autour de ce rapport entre politique et éthique, entre égalité et différentiation.

Les ennemis de la démocratie mettent le doit sur un problème que le tenant de l’égalité comme seul principe de la politique (Rancière, Badiou) ne voient pas et qui constitue un des écueils sur le quel le communisme du XIX et du XX s’est brisé, sans porter de réponses praticables.

Comme soutiennent les ennemis de l’égalité, si chacun peut dire son mot sur les affaires de la cité, il y aura autant de constitutions et de gouvernements que d’individus. Si tout le monde peut prendre la parole, alors les fous, les ivrognes, les insensés sont autorisés à dire leurs opinions sur les affaires publiques de la même manière que les meilleurs, les compétents, les experts on dirait aujourd’hui. Dans la démocratie la joute, l’agonisme et le conflit entre égaux qui tous prétendent dire le vrai, dégénèrent en séduction des orateurs qui flattent le peuple dans les assemblées. S’il y a distribution sans contrôle du droit de parler, « n’importe qui peut dire tout et n’importe quoi ». Dès lors comment distinguer le bon et le mauvais orateur ? Comment  produire une différenciation éthique ? La vérité, affirment toujours les ennemis de la démocratie, ne peut pas être dite dans un champ politique définit par l’« indifférence entre les sujets parlants ».

« La démocratie ne peut pas faire place à la différenciation éthique des sujets parlants, délibérants et décidants »[xiii].

Ces argumentations rappellent immédiatement  les critiques néo-libérale adressées à l’égalitarisme « socialiste » des augmentations salariales égales pour tous, des droits sociaux égaux pour tous : l’égalité empêche la liberté, l’égalité empêche la « différenciation éthique », l’égalité noie la subjectivité dans l’indifférence des sujets de droits .

Foucault, de la même manière que Guattari, nous préviennent qu’on ne peut s’opposer à la « liberté » néo – libérale qui,  en réalité, exprime une volonté politique de rétablir les hiérarchies, les inégalités et les privilèges,  par la seule « politique égalitaire ». Ce serait faire l’économie des critiques que les mouvements politiques avaient porté à l’égalitarisme socialiste,  bien avant les libéraux.

Foucault ne se limite pas à dénoncer les ennemis de la démocratie, mais, en utilisant les Cyniques,  renverse les critiques aristocratiques sur leur terrain même : celui de la différenciation éthique, celui de la constitution du sujet et de son devenir.

A partir de la crise de la parrêsia se  dessine un « dire vrai » qui ne s’expose plus aux risques de la politique. Le dire vrai, de son origine politique dérive vers la sphère de l’éthique personnelle et la constitution du sujet moral, mais selon une double alternative, celle de la « métaphysique de l’âme » et de l’ « esthétique de vie », celle de la connaissance de l’âme, de sa purification ouvrant l’accès à l’autre monde et celle des pratiques et des techniques, pour la mise à l’épreuve, l’expérimentation de soi, de la vie et du monde ici et maintenant. La constitution de soi non plus comme « âme », mais comme « bios », comme mode de vie. Cette alternative est déjà contenue dans le texte de Platon, mais ce sont les Cyniques qui l’explicitent et la renversent contre les ennemis de la démocratie en la politisant. L’opposition entre les cyniques et le platonisme peut se résumer de la façon suivante : les premiers articulent « vie autre » / monde autre » produisant une autre subjectivité et des autres institutions dans ce monde – ci, tandis pour le deuxième il s’agit plutôt de « l’autre monde » et de « l’autre vie » dont l’agencement fera la fortune du christianisme.

Les Cynique retournent  le thème traditionnel de la « vraie vie » dans laquelle avait migré et s’était réfugié le dire vrai. La « vrai vie » dans la tradition grecque « est une vie qui échappe à la perturbation, aux changements, à la corruption, à la chute, et se maintient sans modification dans l’identité de son être ».

Les Cyniques renversent « la vraie vie » par la revendication et la pratique d’une « vie autre », « dont l’altérité doit conduire au changement du monde. Une vie autre pour un monde autre »[xiv]. Ils renversent le thème de la « vie souveraine, tranquille pour soi et bénéfique pour les autres », en « vie militante , vie de combat et lutte contre soi et pour soi, contre les autres et pour les autres »[xv], « combat dans le monde contre le monde ».

Les Cyniques dépassent la « crise » de la parrêsia, l’impuissance de la démocratie et de l’égalité à produire une différenciation éthique, en liant de façon indissoluble politique et éthique (et vérité). Ils dramatisent et reconfigurent politiquement la question du rapport à soi, en l’arrachant à la vie bonne, à la vie souveraine de la pensée antique.

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6. Deux modèles d’action politique

Ces deux lectures de la démocratie grecque sont informées par deux modèles très différents de l’action « révolutionnaire ».

Pour Ranciere la politique se constitue comme réparation d’un tort fait à l’égalité à travers la méthode de la démonstration, de l’argumentation et de l’interlocution. Par l’action politique, les « sans parts » doivent démontrer qu’ils parlent au lieu d’émettre de bruits. Ils doivent démontrer aussi qu’ils ne parlent pas une langue outre ou mineure, mais qu’ils s’expriment et qu’ils maîtrisent la langue de leurs maîtres. Finalement, ils doivent démontrer par l’argumentation et l’interlocution qu’ils sont à la fois des êtres de raison et de parole.

Le modèle de l’action révolutionnaire fondé sur la démonstration, l’argumentation et l’interlocution vise une inclusion, une « reconnaissance » qui même si litigieuse ressemble de très pré à une reconnaissance dialectique. La politique convoque la division en parties où à la fois   « ils » et « nous » s’opposent et se comptent, où deux mondes se divisent tout en reconnaissant qu’ils appartiennent à une même communauté. « Les incomptés, en exhibant le partage en s’appropriant par effraction l’égalité des autres, pouvaient se faire compter »[xvi]

Si on veut trouver quelque chose qui ressemble au modèle de Rancière il faut se refaire non pas à la démocratie politique, mais à la démocratie sociale qui s’est constituée à partir du New Deal et dans l’après guerre.  La démocratie sociale que l’on retrouve encore dans le paritarisme français de gestion de la Sécurité Sociale est, sous sa forme réformiste, le « modèle dialectique » de la lutte de classe où la reconnaissance et le litige entre « nous » et « ils » constituent le moteur du développement capitaliste et de la démocratie elle – même.

Ce que Jacques Rancière  défend dans la démocratie sociale de l’Etat Providence est une sphère publique d’interlocution où les ouvriers (les syndicats – sous la forme réformiste) sont inclus comme sujets politiques et où le travail n’est plus une question privée, mais publique.

« On feint de prendre pour les dons abusifs d’un Etat paternel et tentaculaire des institutions de prévoyance et de solidarité nées des combats ouvriers et démocratiques et gérées et cogérées par des représentants de cotisants. Et en luttant contre cet Etat mythique on attaque précisément des institutions de  solidarité non étatique qui étaient les lieux de formation et d’exercice d’autres compétences, d’autres capacités à s’occuper du commun et de l’avenir du commun que celles des  élites gouvernementales »[xvii]

Toute la difficulté de la position de Rancière (et plus en générale de la  gauche) réside dans la difficulté à critiquer et à dépasser ce modèle qui a surement élargit les limites de la démocratie dans le XX siècle, mais qui, aujourd’hui est un véritable obstacle à l’émergence de nouveaux objets et des nouveaux sujets de la politique, puisqu’il est constitutionnellement incapables d’inclure d’autres sujets politiques que l’Etat, les syndicats de salariés et des patrons.

Tout autre est le modèle politique de Foucault qui émerge de son analyse de la démocratie grecque. Pourquoi va-t-il chercher une école philosophique telle que les Cyniques, une école à « la marge », une école « minoritaire », une école philosophique « populaire » sans grande structuration doctrinaire, pour problématiser la subjectivation politique ?

Ce qui semble suggérer Foucault est la chose suivante :  nous sommes sortis de la politique à la fois dialectique et totalisante du « démos ». « Ce qui est sans part – les pauvres antiques, le tiers état ou le prolétariat moderne – ne peut en effet avoir d’autre part que le rien ou le tout »[xviii]

On voit mal les Cyniques, comme les mouvements politiques de l’après 68 (du mouvements des femmes au mouvement de chômeurs), affirmer « nous sommes le peuple », nous sommes à la fois la « partie et le tout».

Dans le modèle de Foucault, le problème n’est pas celui de faire compter les sans parts, de démontrer qu’ils parlent la même langue que leurs maîtres, mais celui d’une « transvaluation » de toute les valeurs, qui concerne aussi et d’abord  les sans parts et leur mode de subjectivation. Dans la transvaluation l’égalité se conjugue à la différence, l’égalité politique à la différentiation éthique. On retrouve encore Nietzsche à travers les Cyniques qui sont passé à l’histoire de la philosophie comme des « faussaires » de monnaie, comme ceux qui en altéraient la « valeur ».

La devise des Cyniques « changer la valeur de la monnaie » , renvoie à la fois à  l’altération de la monnaie (Nomisma) et à l’altération de la loi (Nomos). Les Cyniques ne demandent pas de reconnaissance, ne veulent pas se faire compter ou inclure. Ils critiquent et ils interrogent les instituions et les modes de vie de leur contemporains par l ‘expérimentation et la mise à l’épreuve d’eux mêmes, les autres et le monde.

Le problème de la constitution de soi comme sujet éthico – politique requiert des jeux de vérité spécifiques. « Non plus le jeu de vérité de l’apprentissage , de l’acquisition de proposition et des connaissances vraies comme dans  le platonisme, mais le jeu de vérité « portée sur soi – même, sur ce qu’on est capable de faire, sur le degré de dépendance qu’on atteint, sur les progrès qu’on à faire (…) Ces jeux de vérité ne relèvent pas des mathêmata, ce ne sont pas des choses qu’on enseigne et qu’on apprend, ce sont des exercice qu’on fait sur soi – même  : exercice, mise à l’épreuve de soi même, le combat dans ce monde »[xix]

Les jeux de vérité politiques pratiqués par la constitution d’une vie autre et d’un monde autre, ne sont plus ceux de la reconnaissance, de la démonstration, de la logique argumentative, mais ceux d’une politique de l’expérimentation qui allié droits et formation de l’éthos. L’opposition de Platon  et de Cyniques, n’est pas sans nous rappeler les différences entre Foucault et Rancière.

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7. Logos et existence, théâtre et performance

Pour Rancière la politique n’existe que par la constitution d’une scène « théâtrale » dans laquelle les acteurs jouent l’artifice de l’interlocution politique au moyen d’une double logique à la fois raisonnable (puisque elle postule l’égalité) et déraisonnable (puisque cette égalité n’existe nulle part) de la discursivité et de l’argumentation.

Pour que il ait de la politique, il faut construire une scène de « parole et de raison » en interprétant et en dramatisant au sens théâtrale du terme l’écart entre la règle et le fait, entre la logique policière et la logique de l’égalité. Cette conception de la politique est normative. Toute action qui conçoit l’espace publique autrement que comme interlocution par la parole et la raison  n’est pas politique. Les actions des banlieusards de 2005 qui n’ont pas respecté ce modèle de mobilisation, ne sont pas considérées comme politiques par Ranciere.

«  Il ne s’agit pas d’intégrer des gens qui, pour la plupart, sont Français mais de faire qu’ils soient traités en égaux. (…) Il est de savoir s’ils sont comptés comme sujets politiques, doués d’une parole commune. (…) Apparemment ce mouvement de révolte n’a pas trouvé une forme politique, telle que je l’entends, de constitution d’une scène d’interlocution reconnaissant l’ennemi comme faisant partie de la même communauté que vous».[xx]

En réalité, les mouvements contemporains ne négligent pas d’actualiser la logique politique décrite par Rancière en construisant une scène de parole et de raison pour revendiquer l’égalité par la démonstration, argumentation et l’interlocution. Mais en se battant pour être reconnus comme nouveaux sujets politiques, ils ne font pas de cette une modalité d’action la seule qu’on puisse définir comme politique. Et plus important encore, ces luttes se déroulent dans un cadre qui n’est plus celui de la dialectique et de la totalisation du démos qui est à la fois partie et la totalité, « rien et tout ».

Au contraire, pour s’imposer comme des nouveaux sujets politiques,  ils sont obligés de faire sauter le verrou de la politique du « peuple » et de la « classe ouvrière » tel qu’il est incarné dans la démocratie politique et dans la démocratie sociale de nos sociétés.

Les mouvements politiques jouent et jonglent  avec ces différentes modalités de l’action politique, mais selon la logique qui ne se limite pas à la mise en scène de «l’égalité et de son absence ».  L’égalité est la condition nécessaire mais non suffisante du processus de différenciation, où les « droits pour tous » sont les supports sociaux d’une subjectivation qui agence production d’une « vie autre » et d’un « monde autre ».

Les « sauvageons » des banlieues françaises comme les a nommés un ministre socialiste ressemblent, pour certains aspects, aux « barbares » Cyniques qui, aux jeux ordonnés et dialectiques de la reconnaissance et de l’argumentation, préfèrent quitter la scène théâtrale et inventer un autre artifice qui n’a pas grands chose à voir avec le théâtre.

Les cyniques plutôt que à une scène théâtrale, nous font penser aux  performances de l’art contemporains, où l’exposition publique (dans le double sens de se manifester et de se mettre en danger) ne se fait nécessairement ni par le langage, ni par la parole,  ni par les sémiotiques signifiantes,  ni par la forme de la dramaturgie théâtrale du jeu des personnages, de l’interlocution et du dialogue.

Comment s’opère le processus de subjectivation qui ouvre la voie à une « vie autre » et  à un « monde autre » ? Pas simplement par la parole et la raison. Les Cyniques ne sont pas seulement des « êtres parlants », mais aussi de corps qui énoncent bien quelque chose, même si cette énonciation ne passe pas d’abord par les chaines signifiants. Satisfaire ses besoins (manger, chier) et ses désirs (se masturber, faire l’amour) en public, provoquer, scandaliser, forcer à penser et à sentir, etc.  sont autant des techniques « performatives » qui convoquent une multiplicité de sémiotiques.[xxi]

Le bâton, la besace, la pauvreté, l’errance, la mendicité, les sandales, les pieds nus, etc., par lesquels un mode de vie de Cyniques s’exprime sont des modalités d’énonciation non verbales. Le geste, l’acte, l’exemple, le comportement, la présence physique, constituent des pratiques et de sémiotiques d’expression qui s’adressent aux autres par d’autres biais que ceux de la parole. Dans les « performances » cyniques, la langue n’a pas uniquement une fonction dénotative et représentative, mais une « fonction existentielle ». Elle affirme un éthos et une politique, elle concours à construire des territoires existentiels pour parler comme  Guattari .

Dans la tradition grecque, il y a deux voie pour la vertu : la voie longue et facile qui passe par le « logos », c’est-à-dire le discours et ses apprentissages scolaires et celle courte, mais difficile des Cynique, qui est « en quelque sorte muette ». La voie brève ou raccourcie, sans discours, est celle de l’exercice et de la mise à l’épreuve.

La vie cynique n’est pas publique seulement par le langage, par la parole, mais s’expose dans sa « réalité matérielle et quotidienne ». C’est une vie  « matériellement , physiquement publique » qui reconfigure immédiatement  les divisions constitutives de la société grecque, l’espace public de la polis d’une part et  la gestion privé de la maison d’autre part.

Il ne s’agit pas d’opposer le « logos » et « existence », mais de s’installer dans leur écart pour interroger les modes de vie et les institutions.

Pour les cyniques, il ne peut y avoir de vrai vie que comme vie autre qui soit à la fois « forme d’existence , manifestation de soi, plastique de la vérité, mais aussi entreprise de démonstration, conviction, persuasion, à travers le discours ». [xxii]

Il y a chez Rancière, comme dans la plus part des théories critiques contemporaines (Virno, Butler, Agamben, Michon, Zizek) un préjugé logocentrique. Malgré les critique qu’il adresse à Aristote, nous sommes toujours dans la dépendance et dans le cadre des formulations du philosophe grecque : l’homme comme le seul animal qui a le langage et il est un animal politique parce qu’il a le langage. En s’attaquant au « partage » que le logos établit  entre l’homme et l’animal les Cyniques s’attaquent aux fondements de la philosophie et de la culture  grecque et occidentale.

« L’animalité jouait dans la pensée antique le rôle de point de différenciation absolue pour l’être humain. C’est en se distinguant de l’animalité que l’être humain affirmait et manifestait son humanité. L’animalité était toujours un point de répulsion pour cette constitution de l’homme de l’homme come être raisonnable et humain »[xxiii]

Les Cyniques ne dramatisent pas uniquement l’écart entre égalité et inégalité, mais dramatisent  les pratiques de la « vie vraie » et ses institutions, par l’exposition d’une vie éhontée, d’une vie scandaleuse,  d’une vie se manifestant comme « défi et exercice dans la pratique de l’animalité ».

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8. Le partage du sensible ou Division et production

La subjectivation politique chez Rancière, malgré son opposition de l’éthique et du politique, implique bien un éthos et de jeux de vérité. Elle requiert un mode de constitution du sujet par la parole et la raison pratiquant les jeux de vérité de la « démonstration », de l’ « argumentation » et de l’interlocution. Même chez Ranciere (et contre Ranciere) la politique ne peut pas se définir  comme une activité spécifique, puisque elle s’articule à l’éthique (constitution d’un sujet de raison et de parole) et à la vérité (des pratiquent discursives qui démontrent et argumentent). On ne voit pas comment ça pourrait pas être autrement.

Mais s’il est impossible de faire de la politique un mode d’action autonome,  il est aussi impossible de séparer la politique de ce que Foucault appelle « micro – physique » des relations de pouvoir.

Les dualismes du « partage du sensible », organisant aussi bien la distribution des parties (la division de classe entre les bourgeois qui ont la parole et les prolétaires qui n’expriment que par  des bruits) que le mode de subjectivation (« ils / nous »), impliquent de relations micro – politique. Les divisions molaires présupposent et dérivent des relations moléculaires.

D’une certaine façon nous sommes obligé à la méthodologie foucaldienne parce que dans le capitalisme contemporain il est impossible de séparer, comme voudrais faire Ranciere, l’ « éthique » de l’ « économie » et de la « politique ».

La division de la société en « classes » (ou parties)  est produite par l’agencement des  pratiques discursives (savoir), de techniques de gouvernement de conduites (pouvoir) et des modes d’assujettissement (sujet). Mais ce partage « dualiste » n’est pas seulement  le résultat de l’action transversale de ces trois dispositifs (savoir, pouvoir, sujet), ils sont eux – mêmes traversés par des relations de pouvoir micro qui le rendent possibles et opérationnels. Les relations homme / femmes,  père /enfants dans la famille, la relation maître / élève à l’école, médecin / malade dans le système de santé, etc. , développées par ce que Guattari appelle les « équipements collectifs » d’assujettissement, sont transversales et constitutives de la division en « parties ». Il est impossible de comprendre le capitalisme contemporain sans problématiser le rapport que le molaire (les grandes oppositions dualistes capital / travail, riches / pauvres, ceux qui commandent et ceux qui obéissent, ceux qui détiennent les titres à gouverner et ceux qui en sont dépourvus) entretient avec la micro – physique (les relations de pouvoir qui prennent appuient, passent et se forment à l’intérieur même de sans parts).

Mais il est surtout impossible sans appréhender comment le pouvoir investit le rapport à soi, le souci de soi, l’ « éthique ».

Les réflexions sur la manière qui ont les Cyniques de considérer le bios, l’existence et la subjectivation « militante », peuvent fournir des armes de résistance aux pouvoirs du capitalisme contemporain qui font de la production de subjectivité la première et la plus importante de ses productions (Guattari).

Foucault nous dit que la parresia, en dérivant de du domaine « politique » à l’éthique individuelle,  est devenue une technique de gouvernement de conduites, c’est-à-dire une technique du pouvoir. Elle « n’est pas moins utile à la cité. En vous incitant à vous occuper de vous-mêmes, c’est à la cité toute entière que je suis utile. Et si je protège ma vie, c’est précisément dans l’intérêt de la cité ».[xxiv]

Les techniques de gouvernement de soi et des autres,  intégrées et reconfigurées par le pouvoir pastoral de l’église chrétienne, ne cesseront de prendre de l’importance  à travers l’action de l’Etat Providence.

Dans le capitalisme « la grande chaîne de soucis et de sollicitudes » , le « souci de la vie », dont parle Foucault à propos de la Grèce antique, sont pris en charge par l’Etat. S’occuper de soi, exercer un travail sur soi et sur sa propre  vie,  signifie se soucier des manière de faire et manières de dire nécessaires à occuper la place qui nous est attribué dans la division sociale du travail. Prendre soin de soi est une injonction à se subjectiver en tant que responsable de la fonction à laquelle le pouvoir nous a assigné.

La question que pose les concepts de bios, d’existence, de vie, n’est pas celle du  vitalisme, mais de comment politiser ces relations de pouvoir micro par une subjectivation,  par un rapport à soi rompe avec les assujettissements.

Rancière semble négliger, à niveau de la définition de la politique, ce qu’il analyse du point de vue historique : le travail sur soi, la formation de l’ethos qu’il décrit par ailleurs chez les ouvriers du XIX siècle.

La formation de l’ethos, du bios, de l’existence « militante » que les Cyniques pratiquent n’est pas une variété du « discours moral ». Elle ne constitue pas une nouvelle pédagogie ou le véhicule d’un code moral. La formation de l’éthos est à la fois un « foyer d’expérience »[xxv] et une « matrice d’expérience » où s’articulent les uns sur les autres les formes d’un savoir possible (savoir), les « matrices normatives de comportement pour les individus » (pouvoir) et des « modes d’existence virtuel pour des sujets possibles » (rapport à soi).

La politique chez Rancière, au contraire, n’est pas d’abord une expérience. Le « sensible » n’a rien d’un foyer d’existentiel, puisque la politique est surtout une question de forme, un formalisme de l’égalité. « Ce qui fait le caractère politique d’une action, ce n’est pas son objet où le lieu où elle s’exerce mais uniquement la forme, celle qui inscrit la vérification de l’égalité dans l’institution d’un litige, d’une communauté n’existant que par la division »[xxvi]

La problématisation de ces « foyers d’expérience » et les expérimentations de rupture et de subjectivation politiques qui en découlent , se transmettent et traversent toute l’histoire de l’Occident, pour aboutir aux révolutionnaires du XIX et du début du XX et aux les artistes de la même époque.

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9.

La subjectivation foucaldienne n’est pas seulement une argumentation sur l’égalité et l’inégalité , une démonstration du tort fait à l’égalité, mais une véritable création immanente qui s’installe dans l’écart entre égalité et l’inégalité et déplace la question de la politique, en ouvrant l’espace et le temps indéterminé de la différentiation éthique, de la formation d’un soi collectif.

Si  la politique est indissociable de la formation du sujet « éthique » , alors la question de l’organisation devient centrale, même si autrement que dans le modèle communiste. La reconfiguration du sensible est un processus qui doit faire l’objet d’un travail « militant » que Guattari, en prolongeant l’intuition foucaldienne, définit comme un travail politique « analytique ».

Pour Guattari le GIP – Groupe d’information sur les prison fondé par Foucault – peut être considéré un agencement collectif où l’objet du « militantisme » se dédouble : militantisme du côté de l’intervention, mais également militantism du côté des intervenants. Le nouveau militantisme  travaille en permanence, non seulement les énoncés produits, mais surtout les techniques, les procédures, les modalités d’expression de l’organisation, le sujet d’énonciation qui produit les énoncés.

Ranciere, à l’inverse, n’éprouve pas « d’intérêt pour la question des formes d’organisation des collectifs politiques ». Il ne prend en considération que les « altérations  produites par des actes de subjectivation politique ». C’est-à-dire qu’il ne voit l’acte de subjectivation que dans son surgissement rare dont la durée se rapproche de l’instantanéité.

Il refuse de s’intéresser « aux formes de consistance des groupes qui les produisent »[xxvii] alors que 68 interroge précisément leur règles de constitution et de fonctionnement, leur modalité d’expression et de démocratie, puisque précisément l’action politique d’intervention est inséparable de l’action de constitution du sujet dont la subjectivation doit reconfigurer non seulement les divisions molaires, mais mêmes les relations moléculaires.

Si les rapports paradoxaux entre égalité et différence ne peuvent être ni inscrits dans une constitution, ni dans des lois, s’ils ne peuvent être ni appris, ni enseignés, mais seulement expérimentés, alors la question des modalités de l’agir ensemble deviennent fondamentales.

Qu’est-ce qui se passe pendant la prise de parole, qu’est-ce qui se passe après la prise de parole, comment cet acte de différentiation fait retour non seulement sur celui qui l’énonce, mais aussi sur celui qui l’accepte, c’est-à-dire comment se forme une communauté lié par l’énonciation et l’artifice qui ne soit pas fermé sur sa propre indentification, mais ouverte à la différentiation éthique ?

Ce qu’il faut expérimenter et inventer dans une machine de guerre qui agence l’être ensemble et l’être contre est ce que Foucault affirme être la spécificité du discours philosophique, et que depuis l’épuisement du modèle dialectique du démos, est devenue la condition de la politique aujourd’hui. Ne jamais poser « la question de l’éthos sans s’interroger en même temps sur la vérité et la forme d’accès à cette vérité qui pourra former ces ethos, et sur la structure politique à l’intérieur desquelles cet ethos pourra affirmer sa singularité et sa différence (…) ne jamais poser la question de l’alêtheia sans jamais relancer en même temps, à propos même de cette vérité, la question de la politeia et de l’éthos. Même chose pour la politeaia. Même chose pour l’êthos ».[xxviii]

Chez Rancière seulement la démocratie comme dispositif à la fois de division et de communauté peut reconfigurer le partage du sensible, tandis que Foucault est beaucoup plus réservé et moins enthousiaste de ce modèle d’action politique, puisque il en décèle les limites. La subjectivation politique, tout s’appuyant sur l’égalité, la déborde. La question politique  est alors : comment inventer et pratiquer l’égalité dans ces nouvelles conditions de subjectivation ?

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[i] Interview de J. Ranciere dans le N° 1 de la revue « Multitudes »

[ii] Michel Foucault, Le courage de la vérité, Seuil, 2005, p. 10

[iii] Michel Foucault, Le gouvernement de soi et le gouvernement des autres, Seuil, 2008, p. 168

[iv] Jacques Ranciere, Aux bords du politique, La fabrique, 1998 p. 102 « La logique égalitaire impliquée dans l’acte de parole et la logique inégalitaire inhérente au lien social » p . 115

[v] Jacques Ranciere, La mésentente, Galilée, 1955, p. 80

[vi] Ibidem, p. 71

[vii] Ibidem, p. 86

[viii] Michel Foucault, Les gouvernement de soi et le gouvernement des autres, p.  61

[ix] Ibidem, p. 66

[x] Michel Foucault, Le courage de la vérité, p. 14

[xi] Ibidem, p. 14

[xii] William James, La volonté de croire, Seuil, 2005

[xiii] Le Courage de la vérité, p. 46

[xiv] Ibidem, p. 264

[xv] Ibidem, p. 261

[xvi] La mésentente, p. 159

[xvii] Jacques Rancière, La haine de la démocratie, La Fabrique, 2005, p. 91

[xviii] La mésentente, p . 27

[xix] Le courage de la vérité, p. 210

[xx] Jacques Rancière,  « La Haine de la démocratie – Chroniques des temps consensuels », Libération , 2005

[xxi] Un très beau article de Jean François Lyotard décrit l’action de corps de « minorités » de la démocratie grecque : « Le corps peut s’infiltrer dans le discours maître , et rire et faire rire. Evidemment pas le corps maître, pas celui des gymnastes ». Ils opèrent la synthèse des sujets, celui de la parole et celui du besoin, que les maîtres entendent   rendre impraticable , sauf par leur médiation : ceux qui ont faim se taisent, ceux qui parlent n’ont pas faim, et nous les maîtres, nous pouvons articuler les deux ensemble dans un corps hiérarchisé (….). Peut être cette remontée du corps faible au milieu de muscles lisses et durs des homosexuels virils (que Diogène ne cesse de persifler parce qu’ils sont l’idéal de la communauté des maîtres), peut – être cela a-t-il quelque rapport avec la décadence en effet, plus précisément avec l’émergence du féminin, qui est le raté de la société politique, celle des hommes ». Jean François Lyotard, Sur la force des faibles, Collectif – essai, 2009. Réedition du n° 64 de L’Arc.

[xxii] Le courage de la vérité, p. 288

[xxiii] Ibidem, p. 244

[xxiv] Ibidem, p . 83

[xxv] Le gouvernement de soi et le gouvernement des autres, p. 4

[xxvi] La mésantente, p. 55

[xxvii] Jacques Rancière, La méthode de l’égalité , La philosophie déplacée, Editions Horlieu, 2006, p. p. 514

[xxviii] Le courage de la vérité, p. 63



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